L'illusion de la martingale à la roulette

Montantes géométriques, montantes arithmétiques, systèmes Labouchère, d'Alembert, ou même anti-d'Alembert, principe de la « maturité des chances » autant de termes circulant dans les salles de casinos pour désigner des méthodes, des règles de comportement, que devrait adopter un joueur au moment des enjeux afin de s'assurer une meilleure probabilité de gain. Ce sont les fameuses « infaillibles martingales » des habitués des casinos : on s'impose des principes de jeu qui décident à chaque coup, et en fonction des résultats précédemment obtenus, quelle mise il convient de déposer sur le tapis.

Prenons l'exemple du pair/impair à la Roulette (européenne). La martingale la plus simple est à coup sûr la « Grande Martingale » : partant de la mise minimum au 1e coup, on la double à chaque coup successif jusqu'à ce que l'on gagne, auquel cas on s'arrête.

Si le jeu pouvait être illimité (à la fois dans le temps et dans l'importance des mises) le joueur adoptant ce système s'assurerait un gain égal à la mise initiale. Il en va tout autrement si, comme dans la réalité, il existe des mises minimum et maximum. A priori un joueur mettant 50 € sur pair a une probabilité de 18/37 de gagner 50 €, de 19/37 de les perdre, soit en moyenne un « gain » de : 50. 18/37 + (-50). 19/37 = 50. -1/37 ≃ 1.35 €

Si, par exemple, les mises sont astreintes à un plancher de 50 € et à un plafond de 50 000 €, ce même joueur adoptant la « Grande Martingale » ne peut donc pas doubler plus de 9 fois de suite (50. 2**10 > 50 000). En pratique, il gagne donc 50 € si pair sort au 1er, 2eme,... ou 10eme coup. Sinon, c'est-à-dire si 0, ou impair sortent 10 fois de suite, il perd la somme considérable de :

A = 50 + 2. 50 + 4. 50 + ... + 2**9. 50 = 51 150 € ; au total, un gain (négatif) moyen de

50. 18/37 [ 1 + 19/37 + ... + (19/37)**9 ] - A (19/37)**10 = 50 [ 1 - (19/37)**10 - (2**10 - 1) (19/37)**10 ] = 50. [ 1 - ( 2. 19/ 37)**10]

Comparée au 50 x (-1/37) = 50 (1- 2.19/37) cette moyenne est moins bonne, car (2. 19/37)**10 > 2. 19/37

Que s'est-il donc passé ? C'est que, s'il est vrai que le joueur a très nettement augmenté ses chances de gagner 50 € : 1. (19/37)**10 > 0,9987

Il est vrai également (hélas) qu'il risque par cette méthode de perdre une somme beaucoup plus considérable. On peut dire qu'il a environ 9 987 chances sur 10 000 de gagner 50 € et 13 chances sur 10 000 de perdre 51 150 € ! En terme de mécanique, on peut dire qu'après avoir modifié et déplacé les masses du système, la position du centre de gravité est finalement encore un peu plus défavorable. Dans des conditions réelles de jeu, la « Grande Martingale » ne saurait donc rendre positive une espérance de gain qui, sur un coup, est négative...

Il en est ainsi de toutes les martingales. La théorie des probabilités est, sur ce point, très catégorique, énonçant à ce propos un théorème. Mais deux arguments fournis par le bon sens suffisent à s'en persuader.

En premier lieu, est-il concevable qu'un joueur puisse gagner quelque chose à parier sur pile au lancer d'une pièce truquée qui favoriserait face ? Bien sûr que non, et cela quelle que soit la succession des enjeux qu'il adopte. Pourtant, d'un point de vue statistique, jouer pair à la roulette revient exactement à parier pile quand pile sort en moyenne 18 fois sur 37, soit moins d'une fois sur deux.

D'autre part, le « principe » d'une martingale est d'exploiter une certaine quantité d'information fournie par les coups précédents, afin de rompre « l'homogénéité » de la situation initiale. Mais ni la boule ni la roue n'ont accès à ces informations. Comment pourraient-elles en tenir compte ? Or, ce sont elles qui « décident ».

Il est vrai cependant qu'une martingale modifie le déroulement d'un jeu. C'est essentiellement sur sa durée qu'elle influe, autrement dit sur le nombre moyen de coups que le joueur pourra jouer avant de tout perdre. Mais, tôt ou tard, si le jeu auquel il se livre a une espérance négative (c'est le cas pour, pratiquement, tous les jeux de casino), cette ruine surviendra.

A la recherche de la martingale gagnante

D'où vient l'acharnement qu'ont mis (et que mettent encore) tant de joueurs à la recherche de la martingale gagnante ? ... Mis à part les motivations psychologiques, c'est le plus souvent une mauvaise lecture des résultats de la théorie qui est à la base des tentatives les plus folles et les plus désespérées. Le principe de « maturité des chances » est peut-être ce que l'on fait de mieux dans le genre, qui, grosso modo, demande de jouer de la façon suivante : se fixer un nombre, disons 10, et attendre que noir soit sorti 10 fois de suite pour jouer rouge au 11eme !

Une fervente utilisation de cette méthode se justifierait sans doute par un argument « tiré » d'une « traduction » en langage courant d'une loi des grands nombres : « à la longue, il y a autant de rouge que de noir, donc après 10 noirs, rouge pour rattraper son retard devra sortir plus souvent ». Inutile de préciser que jamais aucune loi des grands nombres ne permet d'arriver à une telle conclusion.

La théorie fournit même des résultats qui, d'une certaine manière, assurent du contraire. On peut par exemple étudier la « variable aléatoire » Sn = nombre de piles moins nombre de faces après n lancers d'une pièce équitable. Mesurant la probabilité du « retour à l'équilibre » [P (Sn = 0)], on s'aperçoit qu'elle devient de plus en plus petite quand n augmente. Un autre point de vue est de s'intéresser au « dernier retour à l'équilibre avant n » Sup \ k < n Sk = 0 \ soit le dernier coup où il y a eu autant de piles que de faces. On calcule alors que sur 100 000 lancers, il y a une chance sur deux pour qu'il n'y ait pas un retour à l'équilibre du 50 000eme au 100 000eme. On ne voudrait pas être à la place du joueur qui, vers le 3 000eme lancer, estimant que depuis 800 coups, pile est sorti trop souvent, décide de jouer « la contre-dominante » face ! Pile va encore sortir beaucoup plus souvent que face pendant 500 coups ! Le retour à l'équilibre n'intervenant que 3 000 coups plus tard !

Cela dit, rien ne vous empêche, c'est une autre histoire, de croire en votre chance, surtout si votre petit(e) ami(e) vient de vous quitter...

Exemple de martingales

La martingale la plus connue est la « montante géométrique ». Vous misez 1 €. Si vous gagnez, vous recommencez à miser 1 €. Si vous perdez, vous en misez 2, si vous perdez 4,...

La suite des mises obéit donc à une suite géométrique en cas de pertes consécutives.

Comme vous finirez bien par gagner, disons... au n-ième coup, le bilan est simple à faire : vous avez perdu successivement 1, 2, 4, 8, ... 2n -1 €, puis vous avez gagné 2n €. Il vous reste... 1 € de gain. Vous recommencez à miser 1 €, et ainsi de suite...

L'obstacle, vous l'avez identifié, bien sûr : c'est le maximum de jeu autorisé par le casino (ou autorisé par votre compte en banque), qui limite le nombre de pertes successives à un entier N. Votre probabilité de perdre plus de N fois de suite est très faible, bien sûr, mais regardez ce que cela vous coûterait en regard du malheureux petit Euro enjeu de votre montante ! Beaucoup de joueurs, grisés par l'illusion de cette méthode « infaillible » y ont perdu des fortunes.

Une autre martingale, intéressante à citer tout simplement parce qu'elle a été étudiée par un célèbre mathématicien est la « montante de d'Alembert ». L'idée est de partir d'une mise moyenne, par exemple 5 €. À chaque gain, on diminue d'une unité le montant de la mise, à chaque perte, on l'augmente d'une unité. Nous vous invitons à faire quelques simulations : vous vous apercevrez que le risque de dépasser le plafond est assez mince, mais que l'espérance de gain, naturellement, reste négative quoiqu'il advienne.

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